Maîtriser l’art des accords saisonniers

Ayant grandi à Niagara et été stimulé par l’exploration de la diversité culturelle, le chef David Sider a commencé son parcours culinaire en 2006 comme plongeur. Il a gravi les échelons et a fini par cuisiner pour plusieurs hôtels affiliés à Relais & Châteaux et restaurants étoilés Michelin. À 23 ans, il a eu l’honneur de figurer parmi les 30 meilleurs chefs de moins de 30 ans de l’Ontario Hostelry Institute.

Actuellement chef de cuisine à l’établissement The Restaurant at Redstone, à Beamsville, David nous a fait le plaisir de parler de ses menus en constante évolution et des liens solides qu’il a établis dans la communauté.

The Restaurant at Redstone propose des plats saisonniers et régionaux. Expliquez-nous ce qui vous a inspiré ce concept.

Il s’agit d’avoir un restaurant qui fait partie de la communauté. Mettre à l’honneur des produits locaux, c’est bien plus que de les mettre au menu. L’idée, c’est de nouer des relations avec ses voisins, ses fournisseurs, ses clients et les acteurs de l’économie locale. Cela va au-delà de choisir les produits locaux parce qu’ils sont meilleurs (et ils le sont!), il faut réfléchir à son environnement et à la place qu’on y occupe. 

Comment vos techniques de cuisson et les saveurs que vous sélectionnez varient-elles selon les menus saisonniers?

Le printemps est très inspirant. À ce moment, alors qu’il y a si longtemps que nous contemplons des plats ternes, de la verdure commence à arriver. C’est un réel plaisir! Nous pensons alors à des plats aux saveurs rafraîchissantes, plus acides, avec une touche d’épices. 

L’été, nos menus changent si souvent, en fonction des produits disponibles, que nous en perdons le fil! Nous pouvons les modifier chaque semaine et, parfois, nous devons improviser à la dernière minute. Cet été, par exemple, la saison des framboises n’a duré que quelques jours en raison de la chaleur. Nous avons donc commandé des framboises. Tout le monde était content et nous en avons mis dans trois ou quatre plats du menu. Nous en avons commandé d’autres par courriel quelques jours plus tard, et on nous a répondu « Non, désolé, il fait trop chaud et il n’y a plus de framboises. »

Je crois que l’une des raisons pour lesquelles nos cuisiniers sont si forts, ici, et qu’ils restent un bout, c’est cet esprit de changement et l’évolution constante du menu. Ainsi, on n’a pas l’impression de stagner et on ne s’ennuie pas.

Quant aux techniques, voici un exemple : nous élevons nous-mêmes nos agneaux sur place. Nous en faisons bien plus que des côtelettes et des roulés. Nous utilisons l’épaule, les jarrets et d’autres parties qui se braisent bien. L’hiver, nous pouvons servir du jarret avec quelque chose de consistant, avec de la texture, comme de la polenta. Puis, en été, nous pouvons l’accompagner de salsa verde et de tomates. 

Comment vous approvisionnez-vous en ingrédients locaux et saisonniers de la région du Niagara et comment les intégrez-vous à vos plats? 

Nous intégrons tout en créant de belles relations avec plusieurs fournisseurs. L’un d’eux nous fournit uniquement en petits fruits, un autre en champignons et un troisième, en charcuterie. Nous intégrons la région dans son ensemble en gardant ces relations locales au lieu d’appeler un fournisseur générique et de lui demander « Bonjour, je voudrais des pêches du Niagara. »

Nous avons une approche souple et fluide à l’endroit des réalités de l’agriculture. Si quelqu’un nous dit qu’il n’y a plus de framboises, nous ne piquons pas de crise et nous n’en commandons pas du Mexique. Nous passons simplement à autre chose, en évoluant. 

Quels sont les plus grands défis que vous rencontrez en créant votre menu en fonction des ingrédients locaux et saisonniers du Niagara? Comment les surmontez-vous? 

La disponibilité est le plus grand problème, je n’insisterai pas assez là-dessus. Ce n’est pas facile de cuisiner de cette manière. Certains employés restent pour toujours et certains autres, un mois seulement, parce qu’ils n’aiment pas cette méthode. 

Sinon, constater la réaction des clients à tous ces changements relève plus de l’expérience intéressante que du défi. Leur plat préféré peut disparaître du menu trois semaines après y avoir été mis. Des gens viennent sans arrêt, en septembre, et demandent par exemple de la soupe aux pois, que nous ne proposons plus depuis la fin juin. Nous avons même des clients, l’été, qui souhaitent un plat qu’ils ont mangé en hiver.

Nous leur expliquons que ces plats ne sont plus au menu parce que les ingrédients ne sont plus disponibles. Nous disons : « Nous avions accès à d’excellents produits, c’est pourquoi le plat était si bon. Voyez-y un beau souvenir et revenez l’an prochain lorsque nous le proposerons de nouveau. » Neuf clients sur dix répondent « Oh, parfait! », et un seul est de mauvaise humeur. Certaines personnes ont des habitudes bien ancrées et souhaitent manger la même chose chaque fois qu’elles viennent. 

L’idée, c’est de gagner la confiance de nos clients. Beaucoup de gens viennent nous voir régulièrement et adorent que notre menu change constamment. Cette relation s’est développée parce que nous sommes ouverts depuis des années. Nous pouvons maintenant leur servir à peu près n’importe quoi et ils ont confiance que ce sera bon.

Quelle est l’incidence des vins proposés à Redstone Winery sur les saveurs et les ingrédients que vous mettez au menu? 

Nulle : nous avons une grande variété de vignobles. Les trois propriétés offrent un éventail très large. Presque tous les plats que je peux imaginer trouveront un accord parmi nos produits.

À notre ouverture, nous ne souhaitions pas être un restaurant de vignoble classique. Nous ajoutons de la valeur à Redstone. Si vous avez un bon restaurant et un excellent vignoble, et qu’ils sont au même endroit, ils profiteront l’un à l’autre. Je n’ai pas besoin de concevoir un plat en fonction de tel vin ou tel spiritueux que nous produisons. 

Vous pouvez manger nos plats avec du vin, de la bière ou votre cocktail préféré. Ce qui nous intéresse, c’est que les gens viennent et passent du bon temps. Voilà l’objectif. Encore mieux s’ils boivent du vin ou en ramènent à la maison. Mais c’est aussi très bien s’ils boivent de l’eau et ont du plaisir! 

Quelles sont les répercussions de la pandémie sur les activités du restaurant et quelles mesures avez-vous prises pour rester ouverts? 

Les conséquences ont été grandes. Nous avons fermé le restaurant et le gros du personnel de cuisine et moi avons travaillé au vignoble. La fermeture des frontières a empêché la venue de nos travailleurs migrants. La plupart des cuisiniers ont été mutés au service d’expédition. Nous sommes très chanceux : les ventes en ligne se sont emballées et ont créé une demande en main-d’œuvre dans ce domaine. 

L’un des cuisiniers et moi avons commencé à préparer des plats pour emporter et nous l’avons fait tout l’hiver. Nos activités hebdomadaires ont changé et nous servons beaucoup moins de clients. Notre équipe a été considérablement réduite et nous n’avons accueilli aucun employé d’été, contrairement à notre habitude.

Pour des raisons de sécurité, nous avons dû modifier la disposition de la cuisine pour assurer la distanciation entre les sections et éviter les engorgements. Il a aussi fallu que tout le monde s’adapte au port du masque. Mais la pandémie n’a pas touché nos offres. Nous avons fini par proposer le même menu midi et soir, ce que nous avions déjà planifié. 

Le plus gros changement, à mon avis, se produit en ce moment. Les terrasses et les repas pris à l’extérieur ont toujours été importants pour nous. Les grandes décisions se prendront à l’arrivée du froid, quand nous devrons rentrer. Nous avions 100 places et, maintenant, 45. Je ne sais pas du tout si la salle sera pleine ou non. 

Les gens seront-ils à l’aise de manger à l’intérieur? Voilà la grande inconnue. 

Qu’est-ce qui attend le menu de The Restaurant at Redstone? Quels sont les ingrédients que vous avez l’intention d’utiliser la saison prochaine?

Ce n’est pas très facile d’avoir de grands menus. Nous allons peut-être retirer un plat de chaque catégorie.

Sinon, je ne pense pas que nous apporterons beaucoup de changements au format. Je suis très à l’écoute des gens qui décident de venir en ce moment, parce qu’il faut que leur visite en vaille la peine. Je ne pense pas que créer un menu réjouissant qui utilise de manière polyvalente toutes sortes d’ingrédients soit un gage de succès à long terme. Nous devons continuer de nous concentrer sur ce que nous faisons de mieux, parce que c’est ce que les gens attendent de nous. Sinon, nous aurons un problème. 

Le plus gros changement touchera notre façon de fonctionner, notre personnel de salle, la distanciation entre les tables et l’utilisation des cloisons. L’accueil fait partie de la restauration et le facteur le plus important de l’accueil, en ce moment, c’est de faire en sorte que les gens se sentent en sécurité. La chose est ironique, parce qu’elle va de soi depuis très longtemps. Voilà l’enjeu principal que l’industrie doit affronter alors qu’arrivent les temps froids.

 
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