À la découverte des prochaines tendances en matière de cocktails

Grande amatrice de mixologie depuis 10 ans et reconnue pour ses nombreux cocktails signatures, avec ou sans alcool, Julia Momose est maintenant considérée comme une spécialiste des cocktails, notamment en raison de sa formation accréditée par le Guide Michelin.

Née au Japon au sein d’une famille qui aimait beaucoup recevoir et divertir des invités, Julia fait maintenant profiter la ville de Chicago de ses créations d’inspiration internationale, au shaker comme à la cuillère.

Nous avons rencontré Julia pour discuter de cocktails et de dépassement de soi.

Vous êtes reconnue à l’échelle nationale comme une spécialiste des cocktails. Qu’est-ce qui vous a poussée à choisir cette carrière?

L’un des premiers emplois à temps partiel que j’ai occupés était dans un restaurant. Je me souviens que j’analysais tout ce que les barmans faisaient. Puis, un jour, alors que je me trouvais dans un bar jazz secret avec des amis, j’ai aperçu un barman à la tenue impeccable qui travaillait avec énormément de grâce. J’étais fascinée. C’est à ce moment que je suis devenue obsédée par l’idée d’offrir aux clients une expérience aussi incroyable que raffinée. Lorsque j’ai déménagé aux États-Unis pour mes études universitaires, j’ai tout de suite postulé à des postes de barmaid et d’aide-barmaid.

Vos boissons avec et sans alcool, qui comptent une variété d’ingrédients qui sortent de l’ordinaire, repoussent les limites des cocktails classiques. Comment parvenez-vous à équilibrer et à rehausser les saveurs de ces boissons?

L’équilibre est un concept très simple. Les cocktails sont composés de quatre éléments de base (un spiritueux, un amer, du sucre et de l’eau), qu’il suffit d’équilibrer. Les cocktails surs, quant à eux, sont composés de spiritueux, de sucre et d’un ingrédient sur, souvent un agrume. Le spiritueux est l’ingrédient principal des cocktails. C’est un ingrédient qui révèle toute sa polyvalence lorsqu’il est mélangé à de l’eau et qui s’améliore parfois lorsqu’il est mélangé à autre chose. Les cocktails sans alcool, quant à eux, sont composés d’ingrédients qui ne changent pas sous l’effet de l’eau. En fait, l’eau les dilue. C’est pourquoi il faut faire appel à une différente équation pour équilibrer les saveurs d’un cocktail sans alcool. En gros, il faut commencer par créer une base qui remplacera l’alcool. L’équilibre formé par l’ajout de sucre, d’amer ou d’agrumes peut s’établir dans la base elle-même ou plus tard au cours du processus. Les autres facteurs à prendre en compte sont la texture et la température du cocktail.

Si l’on ajoute l’eau au début du mélange, il faut veiller à ne pas en ajouter par la suite. Il faut conserver la base au frais avant de la servir. Je sers la plupart de mes cocktails sans alcool à la température ambiante ou refroidis, mais jamais avec des glaçons. En effet, les glaçons peuvent diluer la base et lui donner une saveur brouillée, ce qui annulera tous les efforts déployés pour créer le mélange.

Si un cocktail sans alcool a été conçu avec l’intention d’être servi avec des glaçons, sa base doit être suffisamment amère, acide et sucrée pour que sa saveur reste aussi intense, même au bout de 10 minutes.

Quelles techniques employez-vous actuellement pour rehausser la saveur de vos cocktails avec et sans alcool? Devez-vous employer différentes techniques en fonction du type de boisson que vous créez?

Différentes techniques peuvent être employées au début du processus de création pour amplifier et parfois modifier la saveur de certains ingrédients. Par exemple, en concassant les épices avant de les infuser, on expose la partie centrale du grain qui n’a pas encore été oxydée et dont la saveur est intacte. On obtient ainsi un arôme et une saveur beaucoup plus intenses. On peut également rôtir les épices pour amplifier davantage leur saveur. Il ne faut cependant pas oublier que, dans certains cas, la chaleur pourrait également modifier cette saveur.

En ce qui concerne la part de sucre de l’équation des cocktails sans alcool, les nombreux types de sucres et d’édulcorants offerts sur le marché aident parfaitement à lier les saveurs et à les concentrer. Par exemple, si vous utilisez du sucre blanc granulé, vous ne ferez que sucrer votre cocktail. Si vous utilisez de la cassonade, du sucre d’érable, de la mélasse ou du miel, vous ajoutez une toute nouvelle saveur au mélange et modifiez ainsi sa profondeur et sa complexité. 

Lorsque vient le temps de préparer un cocktail, qu’il contienne de l’alcool ou non, je fais toujours très attention lorsque j’ajoute des ingrédients pétillants pour ne pas que les glaçons brisent les bulles d’air. Dans le cas des cocktails sans alcool, le mélange joue un rôle encore plus important dans la conservation de l’effervescence et contribue également à la saveur finale du produit. Il est essentiel que l’ingrédient effervescent se trouve à sa forme optimale, car il n’y a pas de marge de manœuvre pour corriger ces boissons « simples ».

La façon dont le cocktail a été mélangé, soit au shaker ou à la cuillère, influe beaucoup sur le résultat. Tous les cocktails, qu’ils contiennent de l’alcool ou non, doivent être refroidis à la perfection. Il ne faut cependant pas oublier que les cocktails sans alcool courent un grand risque d’être dilués si on emploie des glaçons. Au lieu de les mélanger à la cuillère, je conserve les cocktails sans alcool et leurs ingrédients au frais ou dans un bain d’eau glacée, puis les prépare ou les verse dans le verre qui sera servi au client. Si un cocktail doit être aéré, je peux le mélanger au shaker sans glaçons ou le transvider successivement dans deux verres. Lorsqu’une température plus froide est nécessaire, je dépose un gros bloc de glace dans un shaker ou verse le mélange rapidement sur des glaçons avant de le filtrer.

Décrivez le processus de création de saveurs que vous suivez pour créer le cocktail parfait.

Tout dépend de la personne à qui le cocktail s’adresse et du besoin auquel il répond. Par exemple, si j’aide les propriétaires d’un restaurant à créer un menu de dégustation, je dois créer des accords avec des plats particuliers. Je discute alors avec le chef pour connaître les ingrédients qu’il utilise dans ses recettes et découvrir s’il grille, rôtit, frit ou déshydrate ces ingrédients. J’essaie ensuite d’en tenir compte lorsque je choisis les ingrédients qui composeront mes cocktails. Je m’inspire réellement de ce qui se trouve dans le garde-manger. Je m’amuse beaucoup à cette étape du processus; je trouve beaucoup d’Inspiration dans la cuisine! Si les cocktails se trouveront sur le menu à la carte, c.-à-d. qu’ils pourraient ou non être dégustés avec un plat, j’aime proposer un ensemble de cocktails qui couvrent plusieurs catégories de boissons, comme des apéritifs, des digestifs, des cocktails rafraîchissants et des cocktails amers.

Quel rôle les épices, les fines herbes et les assaisonnements jouent-ils dans votre processus de création d’un cocktail? Donnez-nous des exemples.

Je m’éloigne beaucoup des inspirations typiques du domaine culinaire. Au restaurant Oriole, j’ai accès à une multitude de magnifiques épices à pâtisserie, comme de la cannelle, du piment de la Jamaïque et de la muscade. Ces épices à pâtisserie s’agencent parfaitement à n’importe quel type de spiritueux, qu’il s’agisse de vodka, de gin, de rhum ou de whisky. Lorsqu’elles sont utilisées en petites ou en grandes quantités, les épices à pâtisserie mettent en valeur et rehaussent la saveur des spiritueux de façon unique. Pour les cocktails sans alcool, ces épices permettent également de recréer la sensation piquante des cocktails alcoolisés. J’ai créé pour le restaurant Oriole un cocktail sans alcool rappelant un vin rouge à l’aide d’un mélange spécial de thés, de mélasse de grenade, de shiitake et de fumée d’anis étoilé.

Vous choisissez généralement d’intégrer un vaste éventail d’ingrédients provenant des quatre coins du monde à vos créations. Quelle région et quels ingrédients vous inspirent actuellement le plus?

Je viens du Japon, je suis donc portée à utiliser des ingrédients de mon pays d’origine. En outre, ils éveillent en moi une certaine nostalgie. J’éprouve beaucoup de plaisir à faire appel à des ingrédients qui ne sont pas connus des Américains.

Par exemple, le kinako, une poudre de soja grillé, a une saveur de noisettes rôties qui rappelle celle du beurre d’arachide. J’aime beaucoup l’utiliser, car son caractère japonais peut quand même être lié à la nostalgie américaine. J’aime aussi le katsuobushi, un poisson émietté qui est séché, fermenté, puis fumé. Cet ingrédient confère beaucoup d’umami et de kokumi à une boisson et se compare à un fond.

Je m’inspire également beaucoup des mélanges d’épices typiques d’autres régions du monde, en particulier des pays de la Méditerranée, de l’Arabie Saoudite, de l’Inde et de la Turquie. Beaucoup de ces mélanges influencent et inspirent mes créations. Par exemple, l’un de mes cocktails est inspiré du Dukkah, un mélange d’épices du Moyen-Orient qui est souvent dégusté avec de l’huile d’olive sur du pain pita. Il existe plusieurs versions de ce plat, mais celles-ci semblent toutes contenir des noix, comme des noisettes ou des noix de Grenoble, de la menthe séchée, du thym et des épices comme du cumin, des graines de coriandre et des grains de poivre. J’ai eu l’idée de recréer la saveur du Dukkah, mais sans utiliser d’épices. J’ai plutôt fait appel à des spiritueux dont les saveurs rappellent celles du mélange pour créer le cocktail que j’ai baptisé Six Bit et qui contient du Nocino, de la crème de cacao, du kummel, du vermouth sucré, du Sotol, du whisky irlandais et de l’aquavit.

Quel est votre cocktail signature?

Assurément les boissons allongées, plus particulièrement un cocktail au whisky japonais servi sur des glaçons cristallins. Ce cocktail est de plus en plus populaire, notamment en raison de la prolifération des machines à boissons allongées au Japon. Ces machines sont super, mais je préfère le rituel qui consiste à refroidir un verre, à verser lentement le whisky, puis à remplir délicatement le verre d’eau pétillante ou de soda; simple, mais efficace.

Quels ingrédients et saveurs de cocktail pouvons-nous nous attendre de voir se tailler un chemin jusqu’à nos verres dans un avenir proche?

J’utilise des thés dans mes cocktails avec et sans alcool depuis longtemps; en ce moment, j’aime particulièrement le thé oolong. Le thé oolong est produit dans de nombreuses régions et selon différentes méthodes. Ce thé offre donc une vaste gamme de saveurs, y compris des essences de fleurs blanches, comme les plumerias, les orchidées ou les magnolias, et des touches de chèvrefeuille, de souci ou même de rose. Le thé oolong est parfois salé et fumé, et d’autres fois vif et citronné. J’adore la grande diversité de ce produit et espère pouvoir l’explorer davantage afin de le faire connaître aux clients qui s’arrêtent à mon bar.

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