Iron Chef : la destinée d’un chef

Fort d’une formation classique et d’une expérience béton, le chef Alex Chen n’est pas seulement le nom et le tablier derrière le Boulevard Kitchen + Oyster Bar; il est aussi mari, père, médaillé d’or des Championnats culinaires canadiens et champion d’Iron Chef Canada. Ses partenaires de compétition et ses protégés ont aussi gagné de prestigieux concours, comme la bourse Hawksworth du jeune chef.

Alors, comment lui et son équipe arrivent-ils à garder leur sang-froid lorsque le mercure s’élève et que le temps s’écoule? Nous nous sommes arrêtés au Boulevard pour le découvrir.

Tout d’abord, félicitations pour votre passage à la première saison d’Iron Chef Canada cet automne! Comment se sent-on lorsqu’on est l’un des deux seuls chefs à représenter Vancouver à l’émission, et que l’on remporte la victoire en plus?

J’ai appris l’existence d’Iron Chef en 1998 alors que j’étudiais à l’école de cuisine du Vancouver Community College. D’avoir été invité à y participer et d’avoir remporté la victoire faisaient partie de ma liste d’objectifs à réaliser avant de mourir. Mes deux enfants ont pu me voir concourir à la télévision, ce qui est génial, mais mon fils a ensuite offert mes services à toute son école.

Pendant votre épisode, vous avez dû créer cinq plats pour les juges en une heure. Décrivez-nous votre approche de création des plats et des saveurs lorsque vous devez travailler avec un « ingrédient vedette » ou un « ingrédient surprise ». 

L’ingrédient secret était la tomate, car on était en pleine saison des tomates en Ontario. Honnêtement, les 60 minutes ont passé tellement vite; j’étais simplement en mode survie. Je n’ai eu ni le temps ni la capacité de planifier stratégiquement ce que j’allais créer pour les cinq plats. Il faut simplement se dire « d’accord, voici ce que nous allons faire. Nous allons créer une progression qui commencera par des plats subtils et se poursuivra avec des plats forts et percutants. » Nous voulions faire preuve de simplicité et mettre l’ingrédient secret en valeur au lieu de le cacher. Les tomates sont généralement associées à de l’umami, à du salé, à du sucré et à de l’acidité; nous avons donc ajouté du sel et de l’huile d’olive pour souligner la qualité de l’ingrédient.

Comment était-ce de travailler avec le chef Connor Sperling pendant la compétition?

Connor a travaillé avec moi pendant six ans. Je l’ai amené en France pour qu’il compétitionne avec moi sur la scène mondiale. Il a donc déjà été témoin du processus, et je sais à quel point il est dévoué, autant comme cuisinier que comme bras droit.

Au moment de la compétition, je savais que Connor était sur le point de partir, parce que cela faisait six ans qu’il était avec moi, qu’il avait gagné la bourse Hawksworth et qu’il était temps pour lui d’explorer le monde, de découvrir plus de scènes et d’acquérir une expérience de travail à l’échelle mondiale. C’était une sorte de cadeau de séparation que nous nous sommes donné mutuellement; le symbole de la fin de notre aventure pour l’instant. 

En somme, tout ce que je voulais, c’était une équipe offrant la meilleure synergie possible. Je pense que c’est ce qui compte le plus, parce que quand nous nous engageons dans la bataille, aucun d’entre nous ne devrait se sentir laissé à lui-même. Nous pouvons compter les uns sur les autres. 

Quelles sont les principales leçons que vous avez tirées de votre expérience générale à Iron Chef?

Une compétition est une montagne russe d’émotions. J’estime que les compétitions sont aussi surtout une occasion d’agir en tant que mentor. Dans ce genre de compétitions, je porte les chapeaux de conseiller, de chef et de grand frère; je veux simplement encadrer et diriger mon équipe tout au long du parcours jusqu’à la victoire, parce que je comprends les exigences et les aléas de la compétition d’un point de vue personnel. Je participe à des compétitions depuis 20 ans.

Mon équipe et moi discutions quotidiennement de notre processus et de notre progression pour Iron Chef; ils m’appellent même « daddy » (papa) dans la cuisine. Nous y sommes allés en tant que groupe et en sommes revenus frères.

En compétition, on apprend qu’un chef ne peut pas simplement s’imposer en disant : « tu travailles pour moi, tu cuisines ». Il s’agit plutôt de transmettre un héritage. J’ai l’espoir que lorsque mes cuisiniers partiront, j’aurai eu une influence sur leurs vies et leur aurai montré la voie à suivre. Lorsqu’ils travailleront pour quelqu’un d’autre ou seront responsables de leur ménage, j’espère qu’ils pourront se souvenir de tous les petits messages que je leur ai transmis, et, si c’est le cas, cela me rendra heureux. 

Qu’aimez-vous le plus de votre participation à de grandes compétitions, et comment arrivez-vous à équilibrer cela avec vos responsabilités de restaurateur?

Ce que j’aime le plus des compétitions, c’est la compétition en tant que telle, le processus. Ça me motive au point de faire des choses que je ne ferais pas normalement. On se met dans une situation très difficile avec une contrainte de temps, et on accomplit l’impossible. On se rend non seulement compte que c’est possible, mais on donne aussi le meilleur de nous-mêmes.

L’équilibre, par contre, est difficile à atteindre. Les activités quotidiennes demandent déjà de nombreuses heures, mais il faut trouver le temps. Avec assez de volonté, on trouve le moyen. Il y a toujours un moyen. C’est aussi une bénédiction pour moi d’avoir une cuisine entière qui me soutient dans mon aventure et qui me demande si j’ai assez de nourriture et d’eau, ou si j’ai besoin qu’on nettoie ma vaisselle ou qu’on m’aide à la mise en place.

Qu’est-ce que votre expérience en restaurant vous apporte en compétition? Qu’est-ce que votre expérience en compétition vous apporte en restaurant?

La communication, l’organisation, la propreté, la finesse, les saveurs et les assaisonnements : tout cela s’applique au quotidien dans les restaurants comme en compétition. 

Pour exploiter un restaurant, il faut être organisé, minutieux et bon coéquipier. Chaque jour, on doit improviser intelligemment lorsqu’il y a des clients avec des allergies ou des demandes de dernière minute. Il y a une ressemblance entre ces moments et la boîte noire ou l’ingrédient secret des compétitions. 

Il est également important de savoir s’affirmer dans les deux scénarios. Il n’y a rien de mal là-dedans, à condition de ne pas être rude. Par exemple, « je veux que tu fasses ceci maintenant, s’il te plaît, et merci ». Il faut simplement faire attention à son ton et à sa formulation.

Deux membres de votre personnel, Connor Sperling et Daniel Kim, ont participé à la compétition pour la bourse Hawksworth du jeune chef et l’ont remportée. Comment aidez-vous votre personnel à se préparer pour ces compétitions?

Il y a plusieurs aspects au mentorat. En premier lieu, il faut être présent et donner de son temps. Et comment arrive-t-on à prendre ce temps lorsqu’on est chef et directeur de restaurant avec une famille, une femme et des enfants? Il faut simplement trouver une manière, comme on le fait pendant une compétition. Il faut aussi être en mesure de communiquer avec les membres de son équipe, par exemple en leur disant : « hé, je dois prendre une heure pour regarder cette compétition. »

Il faut aussi être capable de leur fournir des conseils pertinents, sans empiéter sur leur liberté d’organiser leur temps et de déterminer leur profil de saveurs eux-mêmes. Il ne s’agit jamais de dire « tu devrais préparer telle sauce de telle manière, ou tel poulet de telle façon ». Ça devrait toujours être « j’envisagerais cela de telle ou telle manière », pour qu’ils puissent ainsi y mettre leur grain de sel.

En fin de compte, une fois le temps écoulé, c’est à eux qu’appartient cette aventure, cette compétition. Ce n’est pas seulement ma compétition, parce que n’est pas moi qui dicte ce qui doit être fait. Je suis seulement là pour conseiller et peut-être donner des suggestions. Le résultat demeure le fruit de leur volonté, de leur acharnement et de leur dévouement, puisque c’est eux qui doivent trouver leur voie. Entre l’exploitation d’un restaurant et le travail quotidien dans la cuisine, quand il faut trouver le temps, on peut dire « je suis fatigué aujourd’hui, je ne veux pas m’exercer » ou « je suis fatigué aujourd’hui, mais chef, j’ai la volonté de m’exercer quand même ». C’est ainsi que je sais si les membres de mon équipe sont prêts ou non. 

De retour à la cuisine du Boulevard Kitchen & Oyster Bar. Quels nouveaux plats ou ingrédients votre menu ou vos expérimentations nous réservent-ils?

Notre thème du moment est le printemps : morilles, asperges blanches, artichauts et rhubarbe. Ces ingrédients abondent en Colombie-Britannique avec le temps qui se réchauffe. J’ai hâte de les voir entrer dans ma cuisine! C’est aussi la saison du flétan en ce moment. De plus, j’ai récolté beaucoup de fleurs de sureau que je vais faire mariner dans du vinaigre, du sirop, de la crème glacée et de la vinaigrette. 

Avez-vous d’autres projets ou aspirations pour l’avenir en ce moment?

Je veux continuer à croître, dans tous les sens et de nombreuses manières. Je prends plaisir à voir mes enfants grandir, à vieillir avec mon épouse, à collaborer avec les propriétaires de mon restaurant qui me comprennent et me soutiennent; ils n’essaient pas de gérer tous mes faits et gestes. Par exemple, si je dis que je dois aller à Iron Chef, ils ne me disent pas de ne pas le faire; ils me soutiennent. Je veux continuer à travailler avec des gens comme ça.

Il n’y a pas que l’argent dans la vie. Les relations, le respect et l’authenticité sont plus profonds et nous renforcent beaucoup plus. Peu importe ce que la vie nous réserve, nous ne manquons pas de projets. Il s’agit de déterminer lesquels me conviennent. Par exemple, je veux absolument lancer un restaurant de cuisine sur feu de bois, qu’il soit extrêmement luxueux ou non. Et que ça chauffe!

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