Découverte des saveurs ouest-africaines au cœur de l’Oregon

La popularité de la chef Fatou Ouattara, originaire de la Côte d’Ivoire, ne cesse de grandir sur la scène gastronomique de Portland, depuis l’ouverture du restaurant Akadi il y a à peine un an. Proposant des plats originaux inspirés de la cuisine ouest-africaine, la chef Ouattara fait fi de l’influence américaine et demeure fidèle aux racines de son pays d’origine.

Nous nous sommes entretenus avec la chef Ouattara pour découvrir comment elle crée ses plats africains, souvent sans les ingrédients typiques de la Côte d’Ivoire, et pour en apprendre davantage sur le rôle que la ville de Portland joue dans son processus quotidien de création de saveurs.

Quel est votre premier souvenir lié à la cuisine à Bouake, en Côte d’Ivoire?

Comme ma mère voulait que j’apprenne à cuisiner auprès de ma grand-mère, celles-ci m’ont initiée à la cuisine lorsque j’avais 8 ans. Je ne souhaitais pas particulièrement apprendre à cuisiner, mais ma mère y tenait, car c’était une tradition. Elle m’a alors enseigné à préparer mes propres épices en les faisant rôtir et en les mélangeant à l’aide d’un mortier. Je me souviens encore du poids du mortier.

En quelle année êtes-vous arrivée aux États-Unis, et quelle est l’influence de votre pays d’adoption sur la façon dont vous mangez et, nécessairement, sur la façon dont vous cuisinez?

Je suis arrivée aux États-Unis en 2010 pour terminer mes études en cuisine. Il n’y avait pas d’école de cuisine en Côte d’Ivoire, en raison de la guerre qui y faisait rage. Mon père m’a donc encouragée à terminer mes études ailleurs; cela faisait alors trois ans que j’avais dû abandonner l’école. Mon arrivée ici a été un véritable choc culturel pour moi. J’ai eu beaucoup de difficulté à m’y habituer, car je n’avais jusqu’alors jamais quitté la Côte d’Ivoire et j’avais toujours mangé des aliments traditionnels du pays. Je ne pensais pas qu’il serait aussi difficile de trouver ces aliments ici. J’ai dû apprendre à tout cuisiner moi-même pour respecter mes traditions familiales. 

Le mets principal de la Côte d’Ivoire est le couscous de manioc, un plat fermenté. Le processus de fermentation dure généralement une journée en raison de la chaleur et du taux d’humidité extrêmes qui règnent en Côte d’Ivoire. Or, lorsque j’ai essayé de cuisiner ce plat pour la première fois à Portland, le couscous ne fermentait pas parce qu’il ne faisait pas assez chaud. J’ai appelé ma mère, qui m’a dit que le processus de fermentation prendrait probablement trois mois. Elle avait presque raison; j’ai mis trois semaines à obtenir la consistance que je souhaitais, car je ne savais pas où mettre le plat. La première fois, je l’avais placé à l’extérieur, mais le mélange s’est gâté. J’ai dû m’y prendre à plusieurs reprises. 

Heureusement pour moi, un marché africain a ouvert ses portes près de chez moi, et j’y trouve tous les ingrédients nécessaires pour faire mon propre couscous de manioc. Je fais également mes emplettes au marché asiatique, car les aliments qu’on y trouve ressemblent beaucoup à ceux de l’Afrique. Les habitants de la Côte d’Ivoire mangent beaucoup de fruits de mer, donc je vais au marché asiatique pour trouver ce dont j’ai besoin. Or, comme je connais le nom des poissons dans ma langue maternelle, je dois d’abord le traduire en français, puis en anglais, au moment d’effectuer mes achats, c’est plutôt complexe. Je dois parfois jeter un coup d’œil au poisson et envoyer une photo à ma mère sur Skype pour lui demander si elle peut m’aider. Elle trouve alors le nom du poisson en français afin que je le traduise en anglais. Il m’a donc fallu un certain temps avant de m’ajuster au mode de vie américain.

Comment votre vie à Portland influence-t-elle votre cuisine ouest-africaine, le cas échéant?

J’ai été obligée d’apprendre à cuisiner avec les ingrédients que je peux trouver ici. Je dois ensuite les transformer pour obtenir les textures et les saveurs que je souhaite ou que j’utilisais à la maison. Pour ce faire, je dois notamment créer mes propres épices, comme lorsque j’avais 8 ans. Je fréquente également les marchés d’agriculteurs pour y trouver des ingrédients particuliers. Lorsque j’en trouve, j’en achète de grandes quantités, puis je les mélange. Cette approche m’oblige à sortir des sentiers battus et à tout préparer de A à Z, lorsque c’est nécessaire.

Décrivez le rôle des épices et des assaisonnements dans vos plats. Comment diffèrent-ils de ceux que vous utilisiez à Bouake?

Ils sont très différents! Chaque pays de l’Afrique a ses assaisonnements typiques. La Côte d’Ivoire n’est pas aussi chanceuse que l’Afrique de l’Est, où l’on trouve du cari, du cumin et d’autres épices incroyables. Comme la Côte d’Ivoire n’a pas été colonisée par les Anglais, ceux-ci n’ont pas pu y rapporter des épices d’Inde. Nous utilisons principalement de la moutarde de Dijon, et l’une de nos techniques de cuisine traditionnelles consiste à fumer les légumes. Nous fumons les oignons, les tomates, les carottes... bref, tous les légumes qui nous tombent sous la main. Nous les mélangeons ensuite à du sel et à d’autres assaisonnements, comme des caroubes.

À quels problèmes avez-vous fait face lorsque vous avez commencé à servir ce type de cuisine sur la scène culinaire déjà saturée de Portland?

Ce que j’aime de Portland, c’est que les gens qui y vivent aiment découvrir de nouvelles saveurs, et c’est ce qui m’a poussée à ouvrir mon restaurant ici. On pourrait croire que la population de la ville n’est pas très diversifiée, mais la plupart de mes clients sont des personnes qui souhaitent découvrir la cuisine africaine. Les Africains ne fréquentent pas les restaurants africains, car ils savent déjà cuisiner les plats qui y sont servis. 

Le défi consiste à trouver les bonnes épices. Il y a tellement de plats que j’aimerais ajouter au menu, mais je ne peux pas, car je n’arrive pas à trouver les épices ici ou à les importer aux États-Unis.

Comment atteignez-vous l’équilibre entre la vision culturelle qui caractérise le menu de l’Akadi et les goûts de vos clients américains?

Avec le temps, j’ai appris que si vous restez fidèle à vos racines, les gens voudront vous donner une chance. Naturellement, je n’ai pas choisi de travailler dans ce secteur pour satisfaire tout le monde. C’est pourquoi j’ai décidé de ne pas « américaniser » mes plats. Je créerai toujours des plats traditionnels. Soit on les aime, soit on les déteste. Je suis cependant persuadée que les véritables gourmets aimeront toutes les subtilités de leurs saveurs. 

Quelle est votre spécialité?

Assurément mon plat de chèvre et d’attiéké. L’attiéké est un couscous de manioc fermenté; il s’agit du plat national de la Côte d’Ivoire.

Quels sont les plats qui voleront la vedette au restaurant Akadi dans les prochaines années?

Le riz wolof! Il s’agit d’un riz frit que tous les Africains cuisinent d’une façon différente. Le riz wolof original provient d’une région francophone de l’Afrique de l’Ouest. Les habitants de cette région utilisent les parties des poissons qui ne sont pas vendues, comme la tête et la queue, pour créer un plat composé de riz frit, de restes de légumes et de fruits de mer. Ils font ensuite cuire le tout dans un ragoût de tomates. Le résultat? Un plat délicieux regorgeant de saveurs. On l’accompagne généralement de boules de poisson, d’oignons caramélisés et d’épinards aigres à base de pâte de curcuma.

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