Accepter le changement et faire place à la diversité dans une période difficile

Le chef australien Adam Hynam-Smith a gravi les échelons de la restauration dès le début de son adolescence. En cours de route, il a voyagé partout dans le monde, ce qui lui a permis d’en apprendre davantage sur les saveurs du monde, sur leur histoire et sur la façon dont il pourrait les intégrer à sa cuisine.

Après avoir mis les pieds au Canada, le chef Hynam-Smith est devenu copropriétaire du premier camion-restaurant gourmet en Ontario, El Gastrónomo Vagabundo, maintes fois primé. Il anime également la populaire série Restaurant Takeover du Food Network. En 2015, Adam a publié son livre de cuisine intitulé Curbside, Modern Street Food from a Vagabond Chef.

Aujourd’hui, le chef Hynam-Smith s’affaire principalement dans son restaurant gastronomique international, Dispatch, à St. Catharines. Il y sert ses propres plats d’inspiration australienne et aime bien accueillir ses clients et leur servir de bons vins. Nous nous sommes rendus au restaurant Dispatch pour nous entretenir avec le chef Hynam-Smith au sujet de ce concept unique et du côté obscur de l’industrie culinaire qui se manifeste depuis qu’il a quitté l’Australie.

Le restaurant Dispatch est reconnu pour l’expérience haut de gamme qu’il fait vivre aux clients sans les formalités liées à la cuisine gastronomique. Expliquez-nous ce qui vous a inspiré ce concept.

Nous souhaitions faire vivre aux Canadiens une expérience typiquement australienne. Le restaurant tire parti de cet environnement en offrant un service semblable, sans pourboire. Je me suis également inspiré de la formation que j’ai suivie chez moi, qui portait principalement sur la cuisine nord-africaine et moyen-orientale. Cette formation m’a permis d’en apprendre plus sur les cultures de ces régions, sur les différentes variantes des plats qu’on y trouve, sur l’histoire des pays qui les composent et sur leurs traditions culinaires.

Nous voulions également faire preuve de transparence, nous montrer amicaux et invitants et exploiter notre établissement de façon durable – pas seulement pour nos employés, mais aussi pour nos invités. Nous voulons que les clients vivent une expérience unique et inoubliable. Nous servons beaucoup de clients australiens – qui vivent ici ou qui visitent le pays – qui nous disent se sentir comme à Melbourne. D’autres nous confient qu’ils ont peine à croire qu’un restaurant semblable a ouvert ses portes à St. Catharines. 

Nous répondons toujours « Pourquoi? Pourquoi n’y aurait-il pas de restaurants comme celui-ci partout? » Mais nous voulons offrir une expérience unique. 

Votre menu est rempli de saveurs nord-africaines et moyen-orientales. Quel est votre processus de création de saveurs?

J’ai commencé à cuisiner à l’âge de 13 ans, puis j’ai décroché mon premier emploi comme aide de cuisine. Je savais déjà que j’avais envie de travailler dans ce domaine. J’en ai donc profité pour m’investir et découvrir de nouvelles saveurs. J’ai commencé mon apprentissage à 16 ans. 

Lorsque j’ai déménagé à Melbourne et j’ai réussi à décrocher un emploi au restaurant Mecca – l’un des restaurants les plus populaires à l’époque – j’ai découvert la cuisine nord-africaine et moyen-orientale. Je suis tombé amoureux des saveurs, de l’histoire, de la culture et de tout ce qui concernait ces régions. 

L’Australie est un pays incroyablement diversifié. De nombreux Turcs y vivent et font profiter le pays de leurs compétences culinaires. Les restaurants que l’on trouve dans ces communautés sont incroyables. J’ai également tiré de nombreux enseignements de la façon dont les Libanais et les Grecs mangent et vivent. Je me suis lié à ces cultures de différentes façons. 

J’ai passé plusieurs années à en apprendre davantage sur ces cultures. Lorsque je voyage, j’aime prendre le temps de discuter avec des gens qui font le même travail que moi, mais dans leur pays. J’adore la liberté que m’offrent les saveurs. J’ai beaucoup de plaisir à les jumeler; c’est instinctif chez moi. 

La réduction du gaspillage alimentaire dans le secteur de la restauration est une cause qui nous tient à cœur. Nous tenons à contribuer, surtout en nous renseignant auprès de restaurants qui mènent le bal en matière de gestion des déchets, de durabilité et d’élimination générale. Nous en avons profité pour retourner à l’école (dans un sens) et tout remettre en question.

Nous nous efforçons de trouver des façons d’utiliser des ingrédients qui auraient normalement été jetés. Nous procédons ainsi en quelque sorte à du recyclage, car nous utilisons chaque ingrédient autant que possible. Nous utilisons ensuite les sous-produits d’une autre façon, que ce soit en les transformant en ingrédients pour un cocktail ou un autre plat. Nous n’hésitons pas à utiliser un même ingrédient de différentes façons au sein d’un même plat. Nous veillons toujours à poser des gestes durables.

Comment mettez-vous la main sur vos ingrédients nord-africains et moyen-orientaux dans la région du Niagara?

Nous nous approvisionnons auprès de fournisseurs de notre collectivité. Nous pourrions faire appel aux grandes entreprises de Toronto, mais nous préférons soutenir les entreprises locales. Tout est une question de recherche.

Nous trouvons la majorité de nos ingrédients chez des épiciers asiatiques ou dans des magasins moyen-orientaux locaux. Nous collaborons également avec des agriculteurs locaux, qui nous fournissent certains de nos fruits et légumes. Les légumes nous permettent de facilement obtenir les profils de saveurs que nous recherchons. Lorsque nous n’avons pas facilement accès à un produit, nous collaborons avec la population et les entreprises locales pour le faire venir à nous.

Vous accordez une grande importance aux accords mets et vin. Comment cela influence-t-il les plats que vous offrez et les ingrédients que vous utilisez?

Notre philosophie en matière d’accords mets et vin est simple : nous voulons offrir des combinaisons amusantes et proposer des produits que l’on ne retrouve pas nécessairement dans les autres établissements de la région. Nous nous efforçons de faire appel à différents produits afin d’offrir une carte des vins unique, amusante et audacieuse. Nos clients peuvent ainsi essayer divers produits auxquels ils n’ont peut-être encore jamais goûté. 

Nous offrons des vins et des plats turcs, grecs et marocains qui font vivre de toutes nouvelles expériences à nos clients. Nous sommes tout à fait disposés à déterminer quels plats s’agencent bien aux vins que nous offrons. Les vins turcs ne s’accordent pas nécessairement uniquement avec des plats d’origine turque. 

Nous aimons inciter les gens à remettre en question les idées qu’ils se font des accords mets-vins et leur offrir différentes textures. La plupart des gens qui vivent ici ne sont pas habitués aux vins ou aux divers produits que nous offrons; c’est donc très instructif pour eux.

En ce qui concerne les vins locaux, nous offrons les produits qui, selon nous, représentent le mieux la région et établissons des parallèles avec certains des meilleurs produits au monde. Cela nous permet de montrer la grande qualité de certains des vins de la région du Niagara, qui sont tout aussi bon (et même parfois meilleurs) que les vins étrangers, qui sont parfois survalorisés. 

Comment menez-vous votre barque en cette année de pandémie?

Nos vies ont changé en une seule nuit. Nous célébrions notre première année d’activité lorsque tout s’est dégradé. Nous avons décidé de fermer le restaurant.

D’emblée, nous devions composer avec un lourd fardeau financier. Nous avons mis à pied tous nos employés et ne pouvions pas leur garantir qu’ils retrouveraient leur emploi. Cela nous brise le cœur de mettre le pied dans un restaurant vide et d’essayer d’accepter que nous puissions perdre notre gagne-pain, notre rêve et tout le fruit de notre travail.

Nous avons passé de nombreuses journées à pleurer dans le noir. J’ai vécu des épisodes d’éclipse mentale au cours desquels je parlais à peine à ma femme. Je n’étais plus moi-même. 

Le coussin que nous avions pour le restaurant a fondu du jour au lendemain. Nous devions payer les factures en souffrance, les employés et le loyer. Nous ne pouvions pas refuser le prêt de 40 000 $ accordé par le gouvernement fédéral. À vrai dire, cette situation nous a obligés à contracter encore plus de dettes, tout en nous empêchant de gagner de l’argent.

Tous les jours, j’appelais mes amis, mes collègues et des gens de l’industrie à qui je n’avais jamais parlé simplement pour savoir comment ils allaient. Je voulais en apprendre davantage sur les mesures qu’ils avaient prises et connaître leur avis tout en essayant de créer un espace où les gens pourraient communiquer et s’exprimer sans être jugés. 

Je voulais inspirer plus de gens à se sentir à l’aise et à parler de leur situation. Les chefs souffrent déjà beaucoup sur le plan mental; nous ne discutons pas suffisamment de cet aspect de notre travail, et les conséquences de la pandémie sur notre santé mentale seront catastrophiques. Et en ce moment, la situation ne fait qu’empirer. Je crains une augmentation du nombre de suicides et de blessures psychologiques à long terme au sein de notre industrie.

Comment avez-vous transformé votre restaurant pour poursuivre vos activités et servir vos clients en ces temps difficiles?

Nous avons essayé de nous réinventer, mais chaque mesure que nous voulions prendre coûtait des milliers de dollars, et rien ne nous garantissait que nous connaîtrions du succès. C’était terrifiant. Nous avons déployé tant d’efforts pour lancer nos activités en ligne, essayer d’offrir des produits au détail et créer des boîtes-repas, mais aucune de ces mesures ne nous a permis de générer des revenus. 

Comment aimeriez-vous voir l’industrie évoluer?

J’ai exprimé mes préoccupations relatives au modèle de restauration fondé sur le pourboire dès que j’ai les pieds dans ce pays. Il s’agit d’une industrie très différente de celle qui a cours dans le reste du monde. 

Je souhaite qu’elle devienne plus durable, plus équitable, plus équilibrée, plus saine, plus inclusive, plus diversifiée et moins néfaste. Nous devrions mettre sur pied des réseaux pour aider les personnes qui ont des problèmes de toxicomanie, des problèmes de santé mentale et d’autres problèmes et leur offrir des services sans les juger. Nous devons davantage parler de ces situations pour que nous puissions les affronter ensemble. 

Nous devons également mieux structurer l’industrie pour que la population nous considère davantage comme des professionnels. Même si nous faisons preuve d’un grand professionnalisme, les gens ne nous considèrent toujours pas comme des professionnels, du moins en Amérique du Nord.

Nous devons prendre le temps d’apprécier les formations que les personnes qui travaillent dans la salle à manger ou dans la cuisine suivent afin d’améliorer leurs compétences. Nous ne devons pas profiter d’eux, les rabaisser, ni leur accorder moins d’importance. Les personnes qui travaillent dans notre industrie déploient autant d’efforts que celles qui travaillent dans d’autres secteurs. C’est l’une des raisons pour lesquelles je souhaite que les choses changent. 

Nous devons revoir la rémunération des employés et éviter de sous-évaluer notre travail pour vendre nos services au rabais au grand public. Je ne veux pas que les personnes qui se lancent dans ce secteur vivent ce que j’ai vécu; au contraire, je souhaite qu’elles en sortent dans une position plus solide et plus saine. 

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