Servir les saveurs de Montréal à travers le temps

De Barcelone à Copenhague en passant par la Californie, le chef Aaron Langille a développé son palais et ses compétences autour du monde avant de choisir de faire de Montréal son chez-lui.

Maintenant chef propriétaire du restaurant Le Diplomate, un restaurant contemporain décontracté, centré sur les petites assiettes et le vin, il condense 15 années de vie et de gastronomie montréalaise dans ses plats, et les gens de la place en redemandent!

Nous avons récemment discuté avec le chef Langille pour en apprendre davantage sur ses processus axés sur la proximité et sur la scène gastronomique de la ville qui les alimente.

Après avoir cuisiné autour du monde, notamment à Barcelone, à Copenhague et en Californie, qu’est-ce qui vous a inspiré à continuer votre cheminement culinaire à Montréal

Montréal est une ville très ouverte, où il fait bon vivre, et où les gens sont très sympathiques. On y trouve aussi un rapport coût-bénéfice qui aide beaucoup à démarrer un concept de restaurant unique qui ne serait pas forcément rentable dans un plus grand marché, comme New York.

Comment définiriez-vous votre cuisine? Quelles ont été les plus grandes difficultés, selon vous, par rapport à votre style, comment les avez-vous surmontées?

J’ai toujours eu du mal à définir ma cuisine. La meilleure définition que j’ai été capable de trouver est « cuisine du Nord-Ouest du Pacifique ». Je l’explique par les influences asiatiques de mes plats et l’abondance de produits frais qui sont traités avec beaucoup de respect, d’acidité et d’umami.

Pendant longtemps, Montréal était, et est toujours dans une certaine mesure, très axée sur les classiques comme la cuisine de bistrot français ou la gastronomie italienne. C’est parfois difficile de faire sortir les gens de leur bulle. Les Montréalais sont habituellement très ouverts, mais il faut les inciter un peu, et lorsqu’ils viennent pour la première fois, ils adorent ça. Ils reviennent ensuite trois semaines plus tard avec leurs amis. Cela dit, il nous arrive encore à l’occasion de recevoir des gens qui ont besoin de leurs croûtons avec leur tartare, ou de leurs frites avec leur bifteck. Ça restera donc toujours un défi.

Pouvez-vous décrire des variations ou des ingrédients que vous avez ajoutés à vos plats pour leur donner une touche distinctement locale et montréalaise?

Il y a beaucoup de produits amusants disponibles au Québec, et évidemment, plus ils sont frais, mieux c’est. Pour donner à ces ingrédients une touche montréalaise, nous utilisons souvent des produits en provenance de Gaspé, ou bien nous remplaçons souvent l’huile d’olive par de l’huile de tournesol du Moulin de Cèdres. Ces variations locales mineures tendent à personnaliser nos plats, à leur donner le caractère du moment et du lieu.

Comment les épices et les assaisonnements entrent-ils en jeu dans la création des plats de votre restaurant?

C’est toujours important que les saveurs fondamentales soient ajoutées dès le départ pour n’importe quel plat. Si la fraîcheur et la qualité des ingrédients ne sont pas optimales, il faut un élément qui fait ressortir les saveurs et qui donne au plat plus d’attrait ou de caractère, au-delà d’un simple radis ou morceau de viande.

Au cours des vingt dernières années, quelle a été la réponse de la clientèle de Montréal par rapport à votre restaurant et aux plats que vous offrez?

Nous sommes toujours ouverts! Le bouche-à-oreille nous apporte une bonne partie de notre clientèle. Les clients semblent vraiment apprécier la façon dont nous prenons des saveurs reconnaissables et les assemblons différemment. Par exemple, notre chou-fleur avec sauce aux haricots noirs. Tout le monde a déjà eu un plat de chou-fleur rôti sur son menu, mais lorsqu’on y ajoute une bonne sauce aux haricots noirs riche en umami avec un peu d’épices et de coriandre, on apporte de la fraîcheur et de l’éclat à un légume autrement banal en plein milieu de l’hiver.

Avez-vous des petits plats que vous adorez cuisiner, mais qui ne cadrent peut-être pas avec la population locale ou avec vos menus?

J’adore préparer du riz au poulet à la singapourienne. J’ai essayé d’en faire une version au Café Sardine, mais les seuls qui en ont profité étaient les gens de la place. Un d’entre eux m’a fait le plus beau compliment que je n’avais jamais reçu, mais le plat n’a quand même pas été un grand succès auprès de la clientèle habituelle de Montréal.

Dans vos propres mots, comment décririez-vous la scène gastronomique de Montréal?

Elle change rapidement en ce moment, parce qu’il y a beaucoup de nouveaux visages. Au cours des cinq dernières années, pour avoir une bonne pizza, on allait dans la Petite Italie. Pour avoir de la bonne cuisine de bistrot français, on allait à L’Express ou au Lémac. Maintenant, les jeunes, moi y compris, ouvrons nos propres établissements aux quatre coins de la ville, et peu importe où l’on vit, on peut marcher quelques blocs et trouver ce dont on a envie. 

Comment Montréal peut-elle continuer à se développer et à s’améliorer en tant que grande destination culinaire du Canada?

Ça me préoccupe d’entendre si souvent des gens parler de limiter le nombre de permis de restaurants qui peuvent être distribués. Ce sont la plupart du temps des restaurateurs bien établis qui se battent pour empêcher les nouveaux venus d’obtenir leur permis, et je ne trouve pas ça nécessairement juste.

Imaginez si on limitait le nombre de permis, et qu’une famille d’immigrants arrivait en ville avec la volonté d’y apporter un style de cuisine vraiment percutant que nous n’avons pas encore à Montréal. Si quelqu’un leur disait qu’ils n’ont pas droit à un permis, parce qu’il y a trop de restaurants dans leur quartier, j’aurais peur que tous les restaurants de la ville finissent par être exploités uniquement par une même catégorie de personnes.

Quel serait votre conseil pour un chef qui souhaite poursuivre une carrière en cuisine à Montréal?

Je recommanderais d’être réaliste par rapport à ses attentes. Il ne s’agit pas du plus gros des marchés, et je crois que bien des gens entrent dans la restauration avec l’idée de devenir millionnaire. Il est absolument possible de gagner sa vie dans ce secteur, mais peut-être pas d’y faire fortune.

Je pense que, avec le temps, seuls ceux qui le font par volonté vont rester. C’est l’opposé des gens qui voient la restauration comme un travail sympa en regardant Chef’s Table, ou bien Anthony Bourdain qui se balade autour du monde. C’est un choix de carrière quand même difficile, où l’on travaille beaucoup d’heures et où la progression est lente.

Quels sont les plats qui voleront prochainement la vedette au Diplomate?

Beaucoup de saveurs vives, de fines herbes fraîches et un peu d’épices, mais rien d’exagéré. Il y aura beaucoup de produits fermentés et d’acidité pour éclaircir les notes plus lourdes de plats autrement bruns. Lorsque le temps s’adoucira, beaucoup de fruits et de légumes.

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