Naviguer en zone grise

La chef Dominique Dufour a affiné son talent dans le cadre du programme d’arts culinaires du George Brown College de Toronto, et a soutenu ses études en jouant tous les rôles dans une cuisine, de plongeuse à chef pâtissière.

Après avoir fait des stages en Angleterre et au Royaume-Uni, la chef Dufour a appris la dure vérité sur la difficulté de la production alimentaire dans son propre pays lors d’un voyage au Yukon. Elle a donc ouvert le Gray Jay Hospitality, avec un menu entièrement canadien. Huit mois plus tard, la pandémie frappe.

Nous avons rencontré la chef Dufour pour en savoir plus sur la façon dont elle s’est retournée pour garder son établissement nouvellement ouvert vivant et connecté à la collectivité d’Ottawa.

Pouvez-vous nous décrire comment la communauté culinaire d’Ottawa a réagi à la pandémie? Quelles sont les mesures prises par votre équipe?

Lorsque la pandémie a frappé, la première réaction de la plupart des restaurants a été d’agir avec extrême prudence. La majorité des gens ont pris du recul pendant les premières semaines pour accepter l’ampleur de la situation, pour évaluer la réaction des autres et pour comprendre quelle sera la demande dans les restaurants.

Nous avons commencé dès le départ par confectionner des paniers à emporter. Nous sommes une très petite entreprise familiale et nous voulions être présents pour nos clients pendant cette période difficile. Notre première offre était une soupe au bouillon d’os très réconfortante et d’autres aliments que vous voudriez manger par une froide journée de mars pour vous aider à vous sentir mieux. 

C’était aussi un moyen de rester en contact avec notre voisinage et notre clientèle tout en essayant de maintenir nos relations.

En quoi consistait votre rôle au quotidien avant la pandémie et comment a-t-il évolué depuis?

Mon rôle est passé de la cuisine uniquement à la création de paniers pour les vacances et à la gestion des réservations. Nous sommes devenus un duo, mon mari et moi. Nous avons tenté de créer de nouveaux programmes pour nous adapter à la situation. Il nous fallait un nouveau système de réservation, un processus de livraison des aliments, des commandes par téléphone et un paiement sans contact.

C’était une situation où nous avons occupé plusieurs rôles tout en essayant de rester au courant des nouvelles, qui évoluaient si rapidement. Nous n’étions ouverts que depuis huit mois lorsque les fermetures de mars ont eu lieu, nous avons donc fêté notre premier anniversaire alors que nous n’étions pas encore vraiment ouverts au public. En gros, nous avons passé un tiers de notre première année au cœur de cette pandémie, mais nous avons fait de notre mieux pour nous adapter.

Au lieu d’offrir un service en salle à manger au restaurant, vous continuez à proposer votre menu à emporter. Avez-vous dû faire des changements majeurs pour y parvenir?

Avant la pandémie, notre objectif était de servir de la nourriture entièrement canadienne et nos techniques étaient un peu plus complexes. Lorsque nous avons rouvert, la disponibilité était primordiale pour notre stratégie. Nous voulions que notre nourriture soit accessible, que nos invités se sentent à l’aise de dîner au restaurant ou d’emporter la nourriture chez eux.

Nous avons dû faire quelques changements puisque certains plats de notre menu précédent ne se transportaient pas très bien. De plus, le fait de n’utiliser que des ingrédients canadiens signifie que le menu change très rapidement en fonction des saisons et de la disponibilité. Pour ces raisons, aucun de nos plats sur ce menu ne se trouvait sur le précédent.

Nous avons aussi créé de nouvelles versions de nos desserts. Par exemple, nous avions un dessert à la carte nappé de sorbet à la crème glacée. Nous avons donc créé une crème pâtissière fouettée plus ferme pour la livraison. 

Comment s’est passée la réouverture pour votre équipe?

C’était une longue reconstruction. Alors que vous formez votre plan de tables et que vous vous apprêtez à rouvrir, vous vous dites « Bon, on va ouvrir nos portes, ça va être excitant et les gens vont venir nous encourager ». Ça n’a pas été le cas pour nous. 

Ce n’est pas que les gens ne voulaient pas venir, mais ils avaient encore des craintes. Il faut également un certain temps pour que le public réalise qui est ouvert et qui ne l’est pas, puisque tout le monde est encore en train de naviguer à travers la pandémie. Avec tant d’informations à assimiler de toutes parts, il était difficile pour nous de passer le message de notre ouverture. 

Chaque fois que quelqu’un toussait, mon équipe et moi étions très conscients qu’il fallait rester à la maison. Dans le passé, vous vous rendiez au travail avec un mal de gorge ou une petite toux, mais plus maintenant. Si vous pensez avoir été exposé à la COVID-19, vous allez vous faire tester.

Quels changements allez-vous mettre en œuvre chez Gray Jay pour que votre nouveau modèle d’entreprise soit durable?

Nous travaillons à rouvrir la salle à manger. D’autres ajustements et une période d’adaptation seront nécessaires. Nous essayons également de savoir comment notre clientèle se sent face à la situation. À ce point, pour la plupart des entreprises, c’est une question de communication. Vous devez démontrer de l’ouverture avec les gens, voir où ils en sont et savoir avec quoi ils sont à l’aise.

Nous travaillons actuellement avec une autre entreprise locale pour préparer des boîtes de condiments avec des recettes en ligne pour les moins d’hiver. Les gens pourront offrir ces boîtes à Noël, pour des anniversaires et des occasions spéciales et cuisiner avec nos condiments maison. Nous commençons également à organiser des événements en ligne pour les groupes d’entreprises, où nous envoyons des fiches de recettes, les ingrédients nécessaires et les accords de vins. Les gens se rendent sur un lien en ligne et reçoivent un cours de cuisine de plus d’une heure dans leur propre cuisine.

Quel est le conseil que vous pourriez donner aux restaurateurs en cours de réouverture de leur entreprise?

Écoutez : si vous connaissez votre clientèle, vous saurez comment elle se sent. Posez des questions et sortez des sentiers battus. Parfois, la réponse se trouve ailleurs. Vous pourriez devoir chercher.

Étant donné l’évolution actuelle du secteur de la restauration au pays, quels sont les changements que vous souhaiteriez voir pour qu’il rebondisse?

J’aimerais que les restaurants facturent les prix réels pour leur nourriture. Malheureusement, je pense que beaucoup de gens font du bradage dans l’industrie. Ils ont tendance à essayer de faire correspondre la valeur perçue à la valeur réelle. 

Il est également temps que notre main-d’œuvre reçoive un salaire décent et que les restaurants augmentent leurs marges bénéficiaires. Elles sont très minces en ce moment et je ne pense pas que ce soit la meilleure façon de fonctionner.

La clientèle fait aussi partie de l’équation. Il se peut qu’elle doive changer sa façon de penser aux sorties au restaurant. 

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