Entre chef et maestro, il estompe les frontières

Chef primé, restaurateur, auteur, personnalité télévisuelle et ancien « dragon » à l’émission Dragon’s Den de CBC, Vikram Vij est né en Inde, mais évolue et travaille dans l’univers culinaire canadien depuis 1984.

Sommelier certifié, il possède plusieurs restaurants en Colombie-Britannique, dont le Vij’s (Vancouver), le My Shanti (South Surrey) et le Rangoli (Vancouver), ainsi que le Vij’s Sutra (Victoria), installé au cœur du marché public de la ville.

En 2007, Vikram Vij et sa femme, Meeru Dhalwala, ont publié « Vij’s: Elegant and Inspired Indian Cuisine », leur premier livre de cuisine inspiré des recettes employées dans les cuisines de leur fameux restaurant, le Vij’s. Cet ouvrage a reçu le prix Or de Cuisine Canada à titre de meilleur livre de recettes de l’année et le Ruban d’or de Cordon D’Or à titre de livre de recettes international. Quelques années plus tard, le couple a lancé « Vij’s at Home: Relax, Honey », un livre sur la cuisine maison indienne à caractère familial, puis, en 2016, « Vij’s Indian », un livre qui poursuit l’histoire de leur vie et de leur passion pour les recettes indiennes.

Nous nous sommes entretenus avec Vikram pour connaître son point de vue sur le parcours qui l’a hissé au rang de vedette de l’art culinaire et savoir comment il est d’abord chef, avant d’être une célébrité.

Vous souvenez-vous des premières inspirations qui vous ont poussé à vouloir devenir chef?

J’avais environ sept ans et, tard un soir, dans les collines, j’ai croisé un homme sur le bas-côté de la route. Il faisait griller du maïs sur un feu de charbon et m’a demandé si je voulais en acheter. Quand il a eu fini de faire cuire le maïs, il l’a arrosé d’un quartier de citron et assaisonné de poivre, de sel et de chili. Le maïs était si chaud en sortant du feu que je me suis brûlé le palais, mais je me rappelle encore parfaitement de ce moment où je mangeais le maïs brûlant en regardant les montagnes couvertes de neige devant moi. Je me disais que c’était incroyablement délicieux, savoureux, tout en pensant que l’air froid de la montagne apaiserait la brûlure de mes lèvres (ça n’a pas marché).

Même si au départ je voulais devenir un acteur de Bollywood, j’adorais la nourriture et tout ce qui tournait autour, si bien que j’ai quitté la maison à 19 ans pour devenir chef en Autriche.

Quels ont été les principaux défis auxquels vous avez dû faire face durant votre apprentissage du métier de chef?

Suivre des cours en Autriche a été difficile, car je ne parlais pas allemand, or c’était la langue d’enseignement à l’école de cuisine. Tout était très différent : je mangeais du porc midi et soir, alors que j’étais principalement végétarien quand je vivais en Inde. Je me suis jeté à l’eau et je me suis entouré de personnes qui ne parlaient pas ma langue pour apprendre la leur.

Quelle philosophie culinaire aimeriez-vous transmettre aux aspirants chefs?


La persévérance, encore la persévérance et toujours la persévérance; c’est tout ce qui compte.

En 1996, j’ai eu la chance de rencontrer le chef Thomas Keller et je lui ai dit que son repas était parfait, tant en termes de textures que de goûts, tout en lui mentionnant que j’étais un jeune chef en formation. Ça ne l’a pas impressionné et il n’a pas dit un mot. Vingt-quatre ans plus tard, j’ai eu l’occasion de lui préparer un plat principal et il m’a dit que c’était délicieux. Quel revirement incroyable! J’en ai eu les larmes aux yeux. J’étais touché, nerveux et rempli d’humilité face à cet hommage.

Vos inspirations et les défis que vous avez relevés vous ont permis d’être reconnu comme un chef vedette dans le monde. À quelle fréquence ce statut vous amène-t-il à sortir de votre cuisine pour assumer votre rôle de personnalité publique?

Je passe encore beaucoup de temps en cuisine. Je prépare tous les plats que je conçois et j’apporte mes propres épices, sans jamais faire appel à un assistant. Au quotidien, je ne suis peut-être pas obligé de couper et de hacher, mais je n’aime pas l’étiquette de chef vedette. Je suis allé à l’école pour devenir chef et je suis heureux qu’on parle simplement de moi comme d’un chef. Dans mon pays natal, l’égalité est un principe important. Je ne veux pas qu’on me voie comme quelqu’un de meilleur que les autres; nous sommes tous égaux.

De quelle façon votre rôle dans l’élaboration des menus et la sélection des ingrédients a-t-il changé depuis que vous avez atteint les sommets actuels?

Quand je conçois un menu ou quand je choisis un ingrédient, je procède toujours de la même façon : je le fais parce que je crois que c’est ce qu’il y a de mieux à ce moment-là. Je mets tout mon cœur, toute mon âme et mes meilleures épices dans ma cuisine, à la manière d’un musicien qui cherche à donner le meilleur spectacle de sa vie. Si la notoriété vient avec, tant mieux, mais ce n’est pas pour ça que je le fais. Je veux simplement divertir les gens grâce à la nourriture.

Dans mes restaurants, nous faisons les choses différemment des autres. Nous goûtons les plats, encore et encore, nous faisons des erreurs et nous voyons ce qui se passe. Si vous n’êtes pas ouvert à la créativité, vous ne permettez pas aux chefs de montrer qui ils sont réellement.

Meeru est directeur de la création et chef de cuisine du Vij et nous discutons et travaillons ensemble de façon créative, mais le My Shanti est mon bébé. C’est moi qui conçois la majorité des plats et des méthodes de ce restaurant. 

Compte tenu de la grande diversité des saveurs indiennes, y a-t-il des tendances à surveiller cette année que vous êtes susceptible d’intégrer à vos menus?

L’une des grandes tendances, cette année, c’est la cuisine inspirée des régions et non pas seulement du pays. Les gens visitent une région et recherchent des plats typiques de cette région (le sud-est de l’Inde ou l’Inde orientale, par exemple), pas de la cuisine indienne générique.

On peut faire le parallèle avec le Canada : vous voulez manger des moules de l’Île-du-Prince-Édouard ou du crabe de la côte Ouest, pas seulement de la cuisine « canadienne ». Les gens voyagent; ils font la différence entre les différents endroits d’où provient leur nourriture et ils savent ce qu’ils aiment.

Dans le cadre de mon partenariat avec Air Canada, j’ai voulu créer des plats mémorables pour les voyageurs et j’ai fait ce délicieux pain naan en forme de larme, pour les gens qui pleurent de joie à l’idée d’aller en Inde. Les gens n’ont pas compris mon clin d’œil, ça ne leur parlait pas. Même mon mélange de lentilles et de haricots au gingembre n’a pas plu, alors j’ai dû modifier mes plats pour qu’ils soient davantage en accord avec la région de l’Inde qui leur était familière. Parfois, ça marche, parfois non, c’est la vie.

Quand vous avez ouvert votre premier restaurant, le Vij’s, vous avez réalisé des mélanges d’épices indiennes inusités. Comment des producteurs d’épices et d’assaisonnements comme Club House peuvent-ils contribuer à faire découvrir les saveurs indiennes dans plus de restaurants canadiens?

Plutôt que de saveurs indiennes, je parlerais d’épices originaires d’Inde. Les notes sont les mêmes, mais chaque chef crée sa propre partition de saveurs. Créez selon ce que vous êtes, qui vous êtes, les goûts et les saveurs que vous aimez, ne vous imposez aucune limite. Ne vous en tenez pas uniquement à ce qui est « indien », oubliez les catégories. La cuisine n’a pas de frontières; ce sont les chefs qui les inventent.

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