Dans la tête d’un chef moderne

John Placko est conseiller culinaire. Il est né à Sydney, en Australie, où il a commencé à travailler dans un petit restaurant italien; c’est là qu’il a tout appris sur la façon d’organiser sa cuisine et sur l’importance de la fraîcheur des produits. Il a ensuite amorcé sa carrière dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie, ce qui l’a amené à devenir apprenti cuisinier et à gagner des compétitions culinaires un peu partout dans le monde.

Arrivé au Canada en 1995, John Placko a passé 15 ans à travailler pour des chaînes de restaurants et des fabricants de produits alimentaires. Après cette expérience, il a lancé des entreprises influentes, dont la Modern Culinary Academy et Powder for Texture, tout en contribuant au milieu de la cuisine moléculaire.

Nous avons passé un moment avec John pour discuter du concept de cuisine moléculaire et pour savoir comment cette approche révolutionne les saveurs dans le secteur des services alimentaires.

Expliquez-nous ce qui a inspiré le concept de Powder for Texture.

Si l’on doit préciser le moment où le terme gastronomie moléculaire a été officiellement créé, c’est en 1988, par feu Nicholas Kurti, un physicien d’Oxford, et Hervé This, un chimiste français, lors d’une conférence en Italie.

Au départ, la gastronomie moléculaire a pour but d’étudier les réactions physiques et chimiques entre les ingrédients et de mieux les comprendre. Les passionnés de cuisine et les chefs se sont ensuite emparés des découvertes issues de cette approche pour les mettre en pratique. C’est ainsi que la gastronomie moléculaire, autrement dit l’étude des modifications culinaires, a donné naissance à ce qu’on appelle la cuisine moléculaire.

Powder for Texture est une gamme d’ingrédients qui permettent de donner des textures uniques et variées aux aliments et aux boissons. Pouvez-vous nous en dire plus?

Ces ingrédients sont généralement de source naturelle – des algues, par exemple. Ils sont conditionnés de façon à permettre d’apporter une texture et une apparence uniques aux produits alimentaires et aux boissons.

Avec la popularité croissante des techniques de cuisine modernes auprès des chefs, quelles sont les tendances émergentes? Quels seront leurs effets sur l’industrie, selon vous?

La cuisine sous vide découle de la gastronomie moléculaire, bien qu’elle remonte aux années 1970. Elle a débuté lentement et il a fallu 25 à 30 ans pour qu’elle prenne réellement son essor. Ensuite, on l’a en quelque sorte oubliée, puis elle a connu un regain de popularité dans les 10 dernières années, non seulement en restaurant, mais aussi à domicile.

La sphérification est l’une des techniques les plus tendance en ce moment. On ajoute de l’alginate de sodium à un liquide sucré ou salé et on plonge le tout dans un bain contenant du chlorure de calcium pour créer de petites perles qui ressemblent à du caviar. C’est une technique toujours très populaire auprès des chefs, des barmans et des pâtissiers.

Les produits lyophilisés sont également en vogue. La lyophilisation permet d’évacuer l’humidité tout en conservant la saveur, la texture et le croustillant des ingrédients.

Quels seront les effets de ces tendances sur l’industrie alimentaire, selon vous?

Compte tenu des enjeux liés à l’augmentation du salaire minimum, au personnel en restaurant et aux heures de travail, je crois que la technologie et l’utilisation d’appareils en cuisine auront des effets considérables sur l’industrie. Dans la mesure où les machines sont bien réglées et où vous y mettez les bons ingrédients au bon moment, vous obtenez un produit très constant, sans risque d’erreur. C’est déjà ce qui se passe dans les restaurants, qui sont de plus en plus nombreux à utiliser des machines sous vide, des fours mixtes, des équipements du genre Thermomix, Pacojet, Turbochef, etc.

On peut voir ce phénomène sous deux angles. Primo, ces machines font une partie du travail et favorisent l’uniformité des plats. Secundo, si vous avez un menu extrêmement compliqué, elles peuvent se charger des préparations de base, ce qui vous laisse plus de temps pour travailler sur la présentation et le raffinement des éléments de votre menu.

Comment combine-t-on les saveurs traditionnelles en gastronomie moléculaire?

Comme il s’agit d’une cuisine fondée sur la science, nous examinons la compatibilité entre différents ingrédients du point de vue moléculaire. Certaines entreprises ont pris le temps d’analyser des milliers d’ingrédients et découvert lesquels se mariaient le mieux entre eux : le chou-fleur avec le chocolat blanc, le fruit de la passion avec les huîtres et la fraise avec le basilic, par exemple. En mettant en pratique ce que la gastronomie moléculaire nous apprend, nous sommes en mesure d’obtenir des effets gustatifs spectaculaires.

En ce qui concerne les techniques de cuisson et les saveurs traditionnelles, je dirais que la cuisine moléculaire a surtout favorisé la déconstruction des plats. Prenez la tarte au citron meringuée, par exemple. Au lieu de la préparer de façon traditionnelle, on peut la placer sur une plaque de congélation rapide et la recréer sous forme de mini-sucette glacée. Les éléments sont les mêmes, les saveurs ne changent pas, mais le format est différent.

Parlez-nous des techniques de cuisson que vous expérimentez actuellement et leurs effets sur les saveurs.

Je me sers de maltodextrine de manioc, à laquelle j’ajoute une matière grasse (du gras de bacon, par exemple) ou une huile parfumée (de l’huile de noix de coco) et je transforme le tout en poudre. C’est une façon intéressante d’ajouter du goût à de nombreux plats. Quand vous mangez, la poudre se dissout et les saveurs restent sur la langue.

Pourquoi les chefs devraient-ils s’adonner à la cuisine moléculaire, selon vous?

Nous évoluons dans un secteur d’activité extrêmement concurrentiel. Quand un chef veut monter son niveau d’un cran et ne connaît pas vraiment les interactions entre les ingrédients ni les techniques propres à cette cuisine, il se tourne vers vous pour savoir comment passer au niveau supérieur, dans son restaurant ou dans une compétition. La plupart des chefs n’ont besoin que de quelques éléments de la cuisine moléculaire pour améliorer l’apparence, la texture et le goût de leurs plats. En ajoutant cette touche unique, ils se différencient et peuvent justifier des prix plus élevés sur leur menu, ce qui apporte une valeur ajoutée à leur entreprise et les démarque de leurs concurrents.

À votre avis, que nous réserve ce mouvement moderne?

Je me passionne pour la cuisine moléculaire depuis une dizaine d’années et je note un intérêt croissant à son égard. De plus en plus de cuisiniers amateurs et de chefs en découvrent les avantages en termes de production ou de présentation, si bien qu’aujourd’hui, les gens ne font pas que s’intéresser à la cuisine moléculaire, mais l’utilisent. Pour moi, c’est beaucoup plus qu’un feu de paille.

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